L’expression est de Paul : « Je trouve étonnant (...) que vous passiez à un autre Évangile. En fait, il n’y en a pas d’autre, il y a seulement des gens qui jettent le trouble parmi vous et qui veulent renverser l’Évangile (...) Si quelqu’un vient vous annoncer un Évangile différent de l’Évangile que nous vous avons annoncé, qu’il soit maudit [1] ».
On ne peut être plus clair, avec en conclusion : « Que la croix de Notre Seigneur Jésus-Christ soit mon seul orgueil [2] ». Paul était apparemment aux prises avec des gens qui voulaient ramener les convertis à Jésus-Christ à la pratique ancienne du judaïsme, qui procurait à leurs yeux une garantie supplémentaire de salut, la croix étant insuffisante.
Ailleurs, il se bat pour la « saine doctrine », quand il écrit à Timothée : « Règle ce que tu enseignes sur l’enseignement solide que tu as reçu de moi [3] ». Très tôt, des gens ont considéré l’Évangile tel que nous le connaissons comme fruste, trop simple. Depuis, les choses ont-elles vraiment changé ? « Tu dois en rester à ce qu’on t’a enseigné (...) Un temps viendra où l’on ne supportera plus l’enseignement solide (...) Les gens iront chercher une foule de maîtres pour calmer leur démangeaison d’entendre du nouveau [4]. »
Ces paroles donnent-elles dans le traditionalisme ? On pourrait le penser, si l’on ne rencontrait pas, ici ou là, un Évangile dont la croix, si elle n’est pas bannie, du moins est mise en sourdine pour le rendre acceptable aux gens douillets que nous sommes devenus. Pourquoi ne pas remplacer « heureux, vous les pauvres », par heureux, vous qui croyez en Christ, la réussite, le succès dans vos entreprises vous sont garantis, à l’abri de tout échec, souffrance de quelque sorte. On le ferait avec les meilleures intentions du monde, dans le but inavoué de gagner le maximum d’adeptes, car on entend de temps en temps ce vieux reproche fait au christianisme qu’il est castrateur, empêchant l’épanouissement humain de l’individu devenu roi.
Cela sonne comme un Contre-Évangile.
Ne demandons pas dans quels groupes on le retrouve. Quand la croix n’apparaît pas dans la lumière de la foi, agissant par l’amour, elle peut paraître sombre, repoussante.
Saint Pierre avait-il peur de la croix, quand il dit à Jésus qui vient de lui annoncer sa propre passion : « Dieu t’en garde, Seigneur ! Cela ne t’arrivera pas [5] » ? Il était de bonne foi. Il aimait Jésus et lui souhaitait seulement le bien. Et Jésus enchaîne : « Si quelqu’un veut marcher derrière moi, qu’il renonce à lui-même, qu’il prenne sa croix et qu’il me suive [6] ». Selon les pensées de Dieu, non celles des hommes. Cela, au moins, a le mérite de la clarté, avec un trait sur le rêve d’un bonheur bon marché.
Il place la barre très haut, sans craindre d’effaroucher ceux qui le suivent. Il les acculera à la décision : « Voulez-vous partir vous aussi ? » - « A qui irions-nous, Seigneur, tu as les paroles de la vie éternelle », répond Pierre [7]. « Vie éternelle », un concept devenu étranger pour beaucoup.
Pourquoi s’étonner d’entendre des propos tels que la souffrance est à combattre, oubliant qu’il y a confusion entre douleur et souffrance ? A l’opposé de la pensée traditionnelle qu’on retrouve dans les maximes d’un Paul de la Croix, quand il dit : « Souffrir et ne pas mourir », ou bien « Souffrir ou mourir ».
Les autres mystiques, hommes et femmes vivant de la foi, répéteront la même chose, voyant dans la souffrance le chemin de l’union au crucifié-ressuscité, Thérèse d’Avila en tête, et tant d’autres.
Si près de nous, le Padre Pio souffrait intensément et rayonnait visiblement de joie, une reprise de ce que vivait son patron Saint François d’Assise. Dira-t-on que ces considérations sont d’un autre âge, dépassées ? N’est-ce pas nous qui restons en arrière ?